L’épidémie de COVID-19 un cas de Force Majeure ?
Le 28 février 2020, Monsieur Bruno LE MAIRE, Ministre de l’Économie et des Finances, déclarait que l’épidémie du COVID-19 est « un cas de Force Majeure pour les entreprises, les salariés et les employeurs ». Qu’en est-il vraiment ?
Le Cabinet ACTIVE AVOCATS vous propose une analyse de l’état du droit et de la jurisprudence sur la question.
1- La Force Majeure est une notion juridique qui, en matière contractuelle, permet de suspendre l’exécution des obligations/prestations.
Aussi, si l’on applique à la lettre ce que Monsieur LEMAIRE a déclaré, l’ensemble des acteurs économiques pourrait suspendre toutes prestations.
Évidemment et heureusement que non.
2-Il convient de rappeler que l’article 1218 du Code civil définit la force majeure de la manière suivante
« Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu’un évènement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur.
Si l’empêchement est temporaire, l’exécution de l’obligation est suspendue à moins que le retard qui en résulterait ne justifie la résolution du contrat. Si l’empêchement est définitif, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1351 et 1351-1. »
Cette disposition s’applique aux contrats signés postérieurement au 1er octobre 2016 ; ceux antérieurs au 1er octobre 2016 sont régis par l’ancien article 1148 du Code civil, dont les termes sont sensiblement identiques.
Mais pour que ces textes s’appliquent, encore faut-il que le contrat n’écarte pas la force majeure comme cause de suspension du contrat !
Si le contrat ne l’écarte pas expressément, l’on peut admettre que le COVID-19 est un cas de force majeure dans certaines situations.
C’est par exemple le cas lorsqu’elle débiteur personnellement tenu à l’obligation en cause est hospitalisé pour cause de COVID-19.
Toutefois, il est difficilement concevable que ce virus soit un cas de force majeure générale.
3-Selon l’article 1218 du Code civil, la Force Majeure nécessite que trois conditions soient réunies et ce sera au juge de déterminer, au cas par cas, si le COVID-19, invoqué par une partie pour échapper à ses obligations contractuelles, revêt effectivement les caractéristiques de la force majeure
1°/ Un évènement échappant au contrôle du débiteur
Cette condition, dite d’extériorité, est nécessairement remplie dans la mesure où le débiteur n’est pas à l’origine de l’épidémie.
2°/ Un évènement qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat
Cette condition de l’imprévisibilité semble elle-aussi malheureusement remplie, dès lors que la conclusion du contrat est antérieure à la survenance de l’épidémie du COVID-19.
En effet, comment une entreprise, peu importe son activité, aurait-elle pu prévenir le COVID-19 ?
Toutefois, il doit nécessairement y avoir une différence d’appréciation selon que le contrat est conclu aujourd’hui, le 1er mars ou le 1er octobre 2019.
Plus la signature du contrat sera antérieure à la date d’apparition du COVID-19, plus les juridictions éventuellement saisies admettront qu’il s’agit d’un cas de force majeure.
Au demeurant, une épidémie n’est pas automatiquement un événement imprévisible.
Ainsi, la Cour d’appel de BESANCON a estimé dans une décision du 8 janvier 2014 que le critère de l’imprévisibilité faisait défaut s’agissant de la grippe H1N1 qui avait été « largement annoncée et prévue ». (décision n°12/02291).
3°/ Un évènement dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées
Il s’agit de la troisième condition, dite de l’irrésistibilité.
L’article 1218 du Code civil précise également que l’évènement doit « [empêcher] l’exécution de son obligation par le débiteur ».
Autrement dit, l’entreprise débitrice doit se trouver dans l’incapacité totale d’exécuter son obligation.
Ainsi, une épidémie n’est pas forcément qualifiée d’irrésistible.
D’ailleurs, la Cour d’appel de BASSE-TERRE a par arrêt du 17 décembre 2018 décidé dans une affaire relative à l’annulation de réservation d’un séjour dans un hôtel, que l’épidémie de Chikungunya ayant frappée SAINT-BARTHELEMY ne pouvait « être considérée comme ayant un caractère imprévisible et surtout irrésistible puisque dans tous les cas, cette maladie soulagée par des antalgiques est généralement surmontable et que l’hôtel pouvait honorer sa prestation pendant cette période » (Décision n°17/00739). Nous pouvons penser que tel n’est pas le cas à l’heure actuelle pour le COVID-19.
A titre d’exemple, un restaurant qui s’est vu réserver une salle pour le 10 avril 2020 afin accueillir une réception de 100 personnes. Son établissement étant fermé au regard des mesures d’urgence prises par le gouvernement, il ne peut évidemment pas adopter d’autres mesures pour s’exécuter. Dans une telle hypothèse, le cas de force majeure réside en réalité dans les mesures restrictives prises par le gouvernement qui ne peuvent pas être contournées sous peine de sanction. On parle alors du fait du Prince.
4-En conclusion, si, par principe la force majeure suspend les obligations nées d’un contrat, elle ne fait pas disparaître le contrat sauf si le retard pris rend impossible l’exécution de ce contrat
L’autre partie peut évidemment suspendre ses obligations en vertu du principe de l’exception d’inexécution.
5-Précisons qu’il existe une autre alternative à la suspension du contrat ou sa disparition.
Ainsi, l’article 1195 du Code civil permet aux parties de renégocier leur contrat « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque ».
Sous réserve que le contrat ne contienne pas une clause excluant la révision pour imprévision, cette partie pourrait alors parfaitement demander une renégociation du contrat à son cocontractant.
Toutefois, elle devra continuer à exécuter ses obligations durant la renégociation.
Le même article précise que :
« En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »
Aussi, si la renégociation devait ne pas aboutir, les parties pourrait résoudre le contrat ou le soumettre au juge afin qu’il procède à son adaptation.
L’imprévision de l’article 1195 du Code civil pourrait ainsi s’avérer être une solution de rechange tout à fait envisageable aux conséquences de l’épidémie de COVID-19, si les conditions de la Force Majeure n’étaient pas réunies.
Encore faudrait-il que le contrat ait été conclu ou renouvelé à compter du 1er octobre 2016, date de l’entrée en vigueur de l’article 1195 du Code civil, et que l’accès au juge soit effectif malgré la fermeture des Tribunaux en raison, précisément, de l’épidémie de COVID-19.
6- En l’absence de décisions des juridictions commerciales ou civiles prises dans le contexte du COVID-19, nous pouvons conclure que tout peut être plaidé dans l’attente d’une jurisprudence qui lèvera toutes incertitudes
Quoi qu’il en soit, le Cabinet ACTIVE AVOCATS se tient à votre disposition pour étudier la solution juridique la mieux adaptée à votre situation.
Auteur : Valérie MOULIN
Auteur : Julien LAMBERT